Le théâtre forum comme outil de réflexion et d’expression à visée thérapeutique

Le Dry January ou « Défi de janvier » est une des actions phares de l’Equipe de Liaison et de Soins en Addictologie (E.L.S.A) du Centre hospitalier Gérard Marchant. Cette campagne lancée en 2013 par l’organisation Alcohol Change UK est aujourd’hui un mouvement international consistant chaque année pendant un mois à faire une pause dans sa consommation d’alcool. Elle suit de près le mois sans tabac, autre campagne nationale suivie par l’E.L.S.A pour laquelle elle organise depuis 2019 l’atelier théâtre forum. Cette forme de théâtre interactif permet, par le biais du jeu théâtral, de faire émerger la parole et la réflexion autour d'un thème choisi et en l’occurrence ici celui de l’addiction au tabac, au cannabis et à la consommation d’alcool. Focus sur cette action innovante et thérapeutique.  

La notion de « théâtre forum »
Le théâtre forum voit le jour dans les années 1960 et se présente comme une forme du théâtre de l’opprimé. Cette méthode, créée et imaginée par l’écrivain brésilien Augusto Boal, est fondée sur deux convictions : la première énonce que le théâtre peut et doit être un outil pour changer le monde et la seconde suppose que l’être humain possède le langage théâtral. 
Il s’agit donc d’une forme de théâtre interactif qui vise à permettre le débat sur un sujet prédéfini. Il se présente en deux temps. D’abord, les comédiens jouent plusieurs scènes courtes évoquant des situations quotidiennes et amenant à une problématique précise. Puis, ces scènes sont rejouées avec le public qui vient alors remplacer ou s’ajouter aux comédiens sur scène dans le but d’arriver à trouver une solution à la problématique soulevée. 
On parle alors de spect-Acteur puisque le public agit et a une incidence sur l’évolution des scènes jouées. L’idée n’étant pas de trouver LA bonne réponse mais plutôt d’expérimenter de manière collective toutes les possibilités envisageables.  

Retour sur la mise en place de cet atelier
L’E.L.S.A est une unité du Centre hospitalier Gérard Marchant qui assure la prise en charge de personnes souffrant d’addictions et par conséquent de dépendances physiologiques et psychologiques à une substance ou pratique quelle qu’elle soit (alcool, tabac, drogue, jeux vidéo…). 
Dans ce cadre, ses équipes ont vu dans le concept du théâtre forum, un formidable moyen de diversifier leurs méthodes de travail. Souhaitant développer des thématiques comme l’affirmation de soi et l’influence, cet art collaboratif s’est présenté comme une approche innovante et enrichissante. L’objectif étant d’amener les patients à réfléchir et à se positionner par rapport à l’influence des autres sur leur propre consommation mais aussi sur leur influence sur celle d’autrui. 
« Les réflexions qui ont été soulevées durant les ateliers, autour du théâtre forum, permettent aussi de confronter d’autres regards, manières d’agir, de percevoir d'autres visions et peut être de mieux comprendre l'autre ? » 
Accompagnée par l’association l’Ecole Citoyenne, cette année encore, l’E.L.S.A a  mis en place cet atelier en collaboration avec l’équipe du Pavillon d'Admission pour Jeunes Adultes (PAJA), l’hôpital de jour des Arènes et l’Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA). Un groupe de volontaires a ainsi été composé, 3 séances de préparation et de répétitions ont été mises en œuvre et trois représentations (animées par une comédienne) ont été organisées pour chacune des trois structures. Patients et soignants ont ainsi joint leur talent d’acteur lors de petites saynètes traduisant la problématique retenue qui était celle de la consommation de tabac, de cannabis et d’alcool.

Soigner par le jeu et la culture
La mise en place de cet atelier vise ainsi à développer de nombreuses compétences et qualités chez les patients comme l’écoute, la concentration, l’observation, l’imagination, l’expression… et présente plusieurs objectifs thérapeutiques : 

  • Favoriser les capacités d’introspection permettant de verbaliser et de s’exprimer dans un cadre rassurant : « J’apprécie la convivialité » ; « Au début un peu d’appréhension et puis j’ai été porté par la dynamique du groupe » ;
  • Développer la confiance en soi en prenant conscience de ses ressources, peurs et représentations afin de pouvoir affirmer ses valeurs et ses compétences : « J’étais impatient de recommencer chaque lundi, j’aimerais plus tard faire du théâtre »
  • Considérer l’autre : « Le groupe est homogène, il y a une bonne ambiance et les gens sont motivés » ;
  • Prendre du plaisir : « Ça me permet d’oublier un peu l’univers carcéral » ; « Ça me libère, ça me fait du bien moralement » ;
  • Travailler en équipe ; 
  • Apprendre à écouter sans juger, à ne pas se laisser manipuler, à s’affirmer sans agresser et à passer de l’opposition au dialogue.


Un bilan positif avec des bénéfices certains
« J’en garde un très bon souvenir, et quel que soit le groupe, il y avait toujours, lors des représentations de l’envie, de l’excitation, des craintes, de la fierté, et beaucoup de magie... ».
Malgré parfois certaines réticences des patients à participer au projet, cette année, et comme les années précédentes, il a rencontré un véritable succès. Jugée par les professionnels comme une démarche pertinente, elle peut au début effrayer car le théâtre est un art qui bouscule et nécessite une certaine mise à nue devant autrui. 
« Je ne veux pas participer car je n’ai jamais fait ça… » ; « Je suis nul… » ; « Je ne veux pas me montrer ».
Voilà ce que peuvent entendre les équipes de l’E.L.S.A au moment de la présentation du projet. Puis après quelques échanges et après avoir été rassurés, certains usagers se laissent tenter… « Au début c’est l’inconnu mais j’avais tout de même envie d’essayer ». Tout au long de la mise en place du projet, les équipes soignantes restent à l’écoute des patients et font le lien avec les comédiens. Des exercices vocaux, de respiration, d’articulation, des animations photos sont ainsi proposés afin que les usagers s’approprient les personnages et les situations jouées. Ces différentes étapes amènent petit à petit à une confiance individuelle et à une cohésion et entraide dans le groupe. 
Ces évolutions sont bénéfiques pour les patients qui prennent davantage conscience de leurs difficultés et arrivent plus facilement à s’affirmer. Par le biais du jeu et de la régularité du groupe et des intervenants, ils prennent du plaisir à participer et leurs capacités d’observation, d’écoute et d’échange sont favorisées dans le respect de l’autre et dans l’humour. 
« Vous êtes comme nous… ». L’implication des soignants amusent et rassurent aussi beaucoup car ils expriment les mêmes appréhensions : stress, peur d’oublier son texte… « Ce sont des moments qui créent un lien de confiance entre soignants / soignés sans jugement avec respect et bienveillance » ; « Cet atelier nous permet d’effacer la frontière entre les patients et le personnel soignant et on voit une dynamique de groupe formidable ». 
À travers cet atelier, les équipes voient donc les patients inventer, s’aider, s’écouter, s’affirmer, apprendre à dire NON et donc à avancer sur le chemin de la guérison.